On ne peut évoquer le Mont Saint Michel sans avoir à l'esprit la fameuse omelette de la Mère Poulard. Pourtant, il faut le reconnaître, la recette d'origine ne semble vraiment pas facile à trouver tant il existe des variantes!
On vous parlera de blancs d'œufs battus en neige, de crème fraîche, de poêle huilée, voir même pas de blancs du tout...mais qu'en est-il réellement?
Découvrez comment une omelette est devenue l'un des plats référence au Mont St Michel
Quel est donc son secret pour obtenir une omelette soufflée et bien moelleuse ?
Voici son histoire et sa recette...
©Lin Judy (1,3); Pixabay (2)
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Anne Boutiaud dit "la mère Poulard" est née le 16 avril 1851, à Nevers dans la Nièvre. Son père est journalier aux maraîchages et sa mère emmène les légumes récoltés chaque jour au marché. Dans un contexte familial modeste, la petite "Annette" doit apprendre rapidement à gagner sa vie. Très jeune, elle deviendra femme de chambre au service d'Edouard Corroyer, architecte en chef des monuments historiques.
En 1863, Napoléon III change la destinée du Mont en lui ôtant son caractère carcéral. C'est Edouard Corroyé qui est missionné pour restaurer l'abbaye du Mont St Michel. Pour rendre à l'abbaye ses lettres de noblesses, de nombreux voyages vers le Mont seront nécessaires au cours duquel il s'y rendra avec sa femme, sa fille et sa domestique. C'est ainsi qu'Annette découvre la Normandie.
Le Mont St Michel, très endommagé par la Révolution Française et 50 ans de garnison pénitentiaire nécessite de lourds travaux de rénovation.
En 1871, la digue route n'est toujours pas construite. Le Mont est une forteresse austère perdue entre ciel et terre. Son accès est périlleux. Pour s'y rendre, il faut prendre la barque ou la charrette tirée par des chevaux et surtout ne pas oublier le "pique sol" qui servait à vérifier la solidité des sols. A cette époque, les sables mouvants changent constamment de places et l'aide d'un guide est impératif. Anne impressionnée par ce lieu aussi dangereux qu'ascétique saurait sans conteste s'en servir plus tard.
Mont Saint Michel en 1872 - Delmaet-Yancinthe-césar
Alors qu'elle n'a que 21 ans, lors d'un nouveau voyage au Mont, Anne rencontre le beau Victor Poulard. Fils aîné du boulanger, c'est lui qui un jour de grandes marrées prend la belle Annette dans ses bras pour l'aider à descendre de la barque qui relie le Mont au continent. Elle tombe sous le charme de ce charmant jeune homme.
Les Corroyers sont des Parisiens, instruits et altruistes. Devant l'idylle naissante d'Annette et Victor ils ne peuvent que s'émouvoir. C'est tout naturellement qu'ils décident d'aider le jeune couple à s'installer au Mont.
Anne et Victor se marient le 14 janvier 1873 et prennent peu de temps après la gérance d'une auberge "Saint Michel Teste d'or", à l'emplacement actuel de la poste. Les Corroyers n'hésitent pas à parler du Mont St Michel dans les salons Parisiens, et, très vite, les touristes commencent à affluer.
Malheureusement, le frère de Victor, propriétaire du lieu et jaloux de cette réussite exproprie le couple et reprend à son compte la "teste d'or". Entre temps Annette avait appris le français et les mathématiques auprès de l'institutrice, également religieuse au Mont. Elle était apte à tenir sa propre affaire et grâce à l'argent qu'elle avait mis de côté, elle décide de construire son hôtel.
Ayant une âme de chef d'entreprise, Anne achète les premières maisons en arrivant au Mont. Elle voulait être le "premier établissement" en arrivant.
Elle détruit une des deux maisons pour le transformer en restaurant. Cet établissement doté de grandes baies est très innovant pour l'époque et aujourd'hui encore, on ne peut l'ignorer.
Le Mont Saint Michel n'a encore pas de digue-route à cette époque et seuls les pèlerins, scientifiques ou artistes osent s'aventurer jusqu'au Mont.
Anne se souvient du périple que c'était pour arriver jusque sur l'îlot, les marées, les dangers qui les guettaient à chaque fois et la peur qu'elle ressentait. Ses premières impressions étaient toujours les mêmes. C'est la faim qui l'animait à son arrivée.
Enfant, elle se rappelait sa mère qui préparait des omelettes. Plat rapide, simple, nourrissant et goûteux. C'est donc tout naturellement, que l'idée de préparer une savoureuse omelette lui vint à l'esprit.
A cette époque, ce plat n'était qu'une amuse bouche pour attendre les mets principaux comme le poulet à la broche ou le civet de lièvre. Et systématiquement, elle était complimentée sur son omelette cuite au feu de bois dans l'âtre de la grande cheminée.
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La notoriété du Mont se développe en même temps que l'établissement d'Anne Poulard dont l'omelette est vantée par bon nombre de journalistes parisiens qui la disent "incontournable". Le Cuisinier Robert Viel viendra même jusqu'à lui demander sa recette qu'elle lui livre bien volontiers :
"Je casse de bons œufs dans une terrine, je les bats bien, je mets un bon morceau de beurre dans la poêle, j’y jette les œufs et je remue constamment."
La réussite d'Anne, devenue "La mère Poulard" n'est plus à démontrer et les premiers signes de jalousie ne se font pas attendre.
En 1888, Victor et Annette Poulard quittent leur petit hôtel pour acquérir l'"hôtel du lion d'or" qu'ils font détruire pour ériger un très bel établissement qui se nommera : A l'omelette renommée de la "Mère Poulard". L'ancien établissement sera repris par le plus jeune des frères de Victor Poulard et changea le nom de l'enseigne pour "A la renommée de l'omelette soufflée".
Commence alors une lutte commerciale entre les enfants ayant eux-même ouvert des hôtels.
Toutefois, en plus de tous les "anonymes", c'est tout le "beau monde" qui viendra jusqu'au Mont pour goûter sa fameuse omelette. Des artistes aux têtes couronnées en passant par d'illustres hommes politiques comme Georges Clémenceau avec qui Anne se liera d'amitié, tous sont logés à la même enseigne. Ainsi, lorsque le roi des Belges Léopold II demandera à s'attabler en terrasse, elle refusera de la servir. La règle étant pour tout le monde la même, il devra s'attabler dans la salle à manger du restaurant. Son accueil chaleureux et son empathie pour chacun de ses visiteurs deviendra légendaire.
En 1906, lorsque Annette et Victor Poulard prennent leurs retraites, plus de 700 recettes auront été élaborées. L'argent qu'ils auront gagné tout au long de leur vie leur permettra de faire construire une maison dans la partie haute du Mont
Le 15 janvier 1923, très entourés, ils célèbrent leur noces d'or.
Annette s'éteindra le 7 mai 1931 et rejoindra son défunt époux dans le petit cimetière du Mont St Michel ou l'on peut lire comme épitaphe : "Ici reposent Victor et Annette Poulard. Bons époux, bons hôteliers. Daigne le Seigneur les accueillir comme ils reçurent leurs hôtes"
Aujourd'hui, "La Mère Poulard" est une multinationale qui compte 17 établissements dans le monde entier et embauche plus d'un millier de personnes.
Si vous passez au Mont : je me garderais bien de vous donner mon avis sur cet établissement dont le nom illustre comme le folklore se paie à prix d'or. Seul conseil : Anticipez votre réservation!
L'omelette de la Mère Poulard
Selon le récit raconté dans le livre du curé du Mont St Michel, E.Couillard "La mère Poulard", la recette originale serait simplement et uniquement des oeufs battus. Voici les textes qui font référence et qui vous dévoileront l'art et la manière de faire une délicieuse omelette comme le faisait la Mère Poulard. D'ailleurs, lorsque le restaurateur parisien, Robert Viel, écrivit à la mère Poulard pour lui demander sa recette, celle-ci lui envoya cette réponse :
« Monsieur Viel, Voici la recette de l’omelette : je casse de bons œufs dans une terrine, je les bats bien, je mets un bon morceau de beurre dans la poêle, j’y jette les œufs et je remue constamment. Je suis heureuse, Monsieur, si cette recette vous fait plaisir. »
— Annette Poulard
Ingrédients
Des œufs fermiers extras frais (au moins deux par personne) + un pour la poêle-
Sel- Poivre
Beurre
Recette
Battre des œufs très frais, saler, poivrer légèrement. Mettre dans une poêle, un bon morceau de beurre frais, ne pas le laisser roussir. Jetez les œufs dans la poêle. Remuez constamment, sans gratter le fond de la poêle. Quand les œufs sont pris, ne pas trop cuire l'omelette (1 à 2 minutes maximum). Rouler l'omelette et la déposer sur un plat. Manger immédiatement cette succulente omelette de la Mère Poulard.
A la crème fraîche (pour 4 personnes)
8 œufs
50 g de beurre
2 c.à soupe de crème fraîche
Sel fin, poivre blanc du moulin
Prenez des œufs à température ambiante
Séparez les jaunes et les blancs,
Battez les jaunes d’oeufs au fouet jusqu’à ce qu’ils blanchissent
salez, poivrez puis ajoutez la crème fraîche,
Montez les blancs d’œufs en neige très ferme (dit en bec d'oiseau),
Incorporez délicatement les blancs aux jaunes afin d'enrober les jaunes
Faire fondre le beurre dans une poêle sans que le beurre ne colore,
A feu vif, versez la préparation dans la poêle bien chaude,
Remuer en permanence en agitant la poêle. Faîtes attention, le mélange colore vite !
Lorsqu'une pellicule s’est formée en surface mais que l’intérieur est encore mousseux, c’est prêt.
Arrêtez de remuer pour que la masse prenne.
Faire glisser l’omelette sur un plat chaud et repliez-la sur elle-même.
Servez immédiatement !
© Rémi Leménicier
Pour en savoir plus sur la Mère Poulard :
vous pouvez avoir accès gratuitement texte intégral :
"LA MERE POULARD" par E. COUILLARD curé du Mont St-Michel
Vidéo sur le battage des œufs et la cuisson de l'omelette